Jean-Guy Le Floch, PDG d’Armor-Lux
Jean-Guy Le Floch est à la tête d’Armor-Lux depuis 1994. L’ancien bras droit de Yannick Bolloré a réussi à imposer sa marque rayée dans toute la France, contre vents et tempêtes. Aujourd’hui symbole du Made In France, Armor-Lux et son patron voient plus loin, pourquoi ne pas trouver une vedette américaine pour son vêtement armoricain ?
Après avoir travaillé pendant 15 ans avec Yannick Bolloré, vous avez décidé de reprendre Armor-Lux. Quel a été le moteur de votre décision ?
Il y avait deux raisons essentielles : la première, c’était de devenir entrepreneur. Comme dit le proverbe célèbre : il vaut mieux être le premier dans son village que le second de Rome. Je souhaitais m’émanciper et devenir dirigeant d’entreprise. La seconde raison, c’était le retour en Bretagne. À 40 ans, il était indispensable pour moi de revenir aux sources. Je ne voulais pas finir ma carrière à Paris.
Quel était le paysage du textile breton à l’époque ?
Il existait une tradition textile relative aux vêtements marins. Il y avait plusieurs marques comme Le Glazik, Le Minor, Guy Cotten, Capitaine Corsaire, Saint James ou encore Dolmen qui vient de disparaître. Le paysage textile était assez dense. Depuis, c’est l’hécatombe. En Bretagne, il reste Guy Cotten et Armor-Lux. La mondialisation a détruit le paysage.
Justement, comment se fait-il qu’Armor-Lux ait réussi à résister à cette évolution ?
Nous fabriquons des vêtements de qualité qui n’ont jamais déçu le consommateur. C’est la raison fondamentale, mais pas la seule. Notre réussite est également le fruit de la grande cohésion sociale qui existe dans l’entreprise. Depuis le début des années 80, il n’y a jamais eu de plan social ou de licenciements. Tout le monde est solidaire, tout le monde se bat pour avancer. Et puis il y a la notoriété de la marque qui est ancrée, depuis 1938, dans le coeur de tous les Bretons et de tous ceux qui aiment la mer. On essaie de la déployer sur toute la France et maintenant à l’export. Sans ses gènes, synonymes de Bretagne et de qualité, il n’y aurait sans doute plus d’entreprise aujourd’hui.
Votre modèle économique repose sur un partage de production entre des pays étrangers à bas coûts et vos trois usines françaises. Est-ce un modèle aujourd’hui obligatoire pour résister à la mondialisation ?
Une production à 100 % française n’est plus possible car il y a des pans entiers du textile qui ont disparu en amont. Je pense à la filature, à l’ennoblissement (N.D.L.R., le traitement des tissus) ou encore le laminage textile. Il faut donc s’adapter.
Armor-Lux est devenue une entreprise emblématique du Made in France. Avec la mondialisation et le déclin économique de notre pays, le Made in France est-il encore un concept porteur ?
Oui. Il y a des pays qui n’achètent que du Made In France, en particulier le Japon. Celui qui n’a pas d’usine en France peut difficilement aujourd’hui vendre au Japon. C’est donc un avantage pour nous d’avoir trois usines complètement intégrées dans notre pays. De même, le Made in France se porte également très bien sur le territoire national. Je dirais même que c’est devenu un handicap de ne pas fabriquer en France. Le consommateur est très regardant sur les étiquettes. Cette exigence nous oblige par exemple à recruter ou à former des opératrices de confection pour nos usines françaises. Aujourd’hui , elles représentent 100 emplois répartis entre Quimper et Troyes.
Armor-Lux a multiplié les ouvertures de magasins en France. Aviez-vous un problème de réseau de distribution ?
Lorsque nous avons repris l’entreprise, c’était avant tout une usine qui vendait à des indépendants. Elle n’avait pas sa propre distribution. L’équilibre était fragile. Nous avons donc décidé d’ouvrir des points de vente, il y en a 60 aujourd’hui, qui peuvent à eux seuls faire tourner les usines.
À l’étranger, où se situent potentiellement les nouveaux marchés pour Armor-Lux ?
Nous avons plusieurs cibles privilégiées pour le développement à l’export : il y a le Japon donc, qui adore la rayure. On peut également citer l’Allemagne dont le climat est parfaitement adapté au caractère assez chaud et durable des vêtements que nous fabriquons. Ensuite, il y a le continent nord-américain. Nous avons ouvert une boutique à New-York, la première à l’étranger, qui fonctionne très bien. Nous allons continuer à travailler pour que la rayure devienne là-bas aussi un must-have. Il nous faudrait sans doute deux ou trois grandes stars américaines pour faire d’Armor-Lux la référence du vêtement rayé. Quant au Canada francophone, notre développement est également intéressant. Enfin, il y a deux secteurs qui nous intéressent : la Scandinavie, qui est très fan des vêtements marins, et la Turquie. Ce pays maritime a une densité de bateaux de plaisance qui équivaut à celle de la France. C’est notre gros objectif pour 2015-2016.
Vous avez perdu cette année un gros marché de vêtements professionnels pour la police, remporté par le puissant groupe GDF-SUEZ. Y voyez-vous une foire à la concurrence déloyale ?
Nous étions quatre PME associées pour assumer ce marché pendant 5 ans (2008-2013) et nous avons parfaitement rempli notre tâche. Quand il s’est agi de renouveler le contrat, nous nous sommes retrouvés face à GDF-SUEZ, et ses 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui n’avait jamais fabriqué un seul vêtement ! Nous avons trouvé cela parfaitement déloyal. Nous avons d’ailleurs déposé un recours devant le Tribunal administratif de Paris.
On parle souvent des lourds handicaps géographiques dont souffre la pointe bretonne. Comment donner envie à des chefs d’entreprise de venir s’installer dans le Finistère ?
C’est vrai, nous avons quelques handicaps. Pour rejoindre Paris, le train et la voiture prennent beaucoup de temps. Quant à l’avion, c’est assez cher. Mais d’un autre côté, nous avons des atouts extraordinaires : le cadre de vie et le courage enviable des ouvriers qui travaillent dans nos usines. Pour la petite histoire, nous avons recruté il y a six mois une jeune femme qui parle 5 langues, venue de Marseille, où elle occupait un très gros poste. Elle a voulu s’installer dans le Finistère pour fuir les grandes villes. Nous voyons de plus en plus de CV de ce type car les gens cherchent, en plus d’un emploi, un environnement sain. Et ça, le Finistère peut l’offrir.
Les 35 heures font actuellement l’objet de remises en cause. Pensez-vous qu’il faille les abroger pour redonner de la flexibilité et de la compétitivité aux entreprises françaises ?
Ma réponse est claire : les 35 heures ont été une énorme hérésie pour l’industrie manufacturière française. Il est urgent d’annuler cette mesure si l’on veut redresser l’industrie française. J’insiste : pour le textile, cette loi a été dramatique. Les coûts ont augmenté de 11 %. Résultat : cela a détruit plus de 50 000 emplois en France en l’espace de 5 ans, de 1998 à 2003.
Le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) est boudé par certaines PME qui ne le demandent pas par crainte de contrôle fiscal, comme ce fut le cas avec le crédit recherche. Que pensez-vous du dispositif ?
Le CICE est une mesure exceptionnelle et , contrairement au crédit recherche, il n’est pas soumis à des tas de conditions qui font l’objet de contrôles fiscaux permanents. C’est une aide pour réduire le coût du travail. Il faut vraiment que tous les patrons de PME en profitent et le partagent entre investissement, baisse des prix et augmentation des salaires nets. Ceux qui ont des doutes doivent vraiment regarder les textes de près ou se faire aider pour les comprendre !
Vous avez la réputation d’être un chef d’entreprise proche de ses salariés. Mais n’y a-t-il pas une incompatibilité entre les mots “gentil” et “patron” ?
Les patrons sont rarement méchants. Au contraire je crois que les patrons sont gentils, voire très gentils avec leurs salariés. Il faut enlever l’image du patron voyou. Le Premier Ministre fait de gros efforts pour améliorer l’image des patrons. C’est important. Je pense qu’il a également compris que c’est dans les entreprises que les richesses sont créées en France, et pas dans les administrations.
Une des raisons qui expliquent vos bons rapports avec vos salariés vient peut-être du fait qu’Armor-Lux fait un gros travail de formation ?
Peut-être. Depuis dix ans, plus de 200 personnes ont été formées chez Armor-Lux, y compris des opératrices de confection qui sont devenues agents de maîtrise, modélistes, stylistes, vendeuses ou responsables de magasins. Ce sont de vraies reconversions, de vraies évolutions professionnelles dans un secteur qui était fragile. On mise beaucoup sur la formation. Notre budget sur ce poste équivaut d’ailleurs au double de ce que la loi prévoit.
Vous arrivez à un âge où l’on peut raisonnablement penser à passer le relais. Avez-vous envisagé la succession ?
Avec Michel Guéguen (N.D.L.R., l’ami d’enfance avec qui il a repris Armor-Lux), nous avons tous les deux passé les 60 ans. Il nous faut donc commencer à réfléchir. Trois de nos enfants travaillent dans l’entreprise. Nous espérons bien qu’un jour ils pourront, les uns et les autres, prendre la suite dans un métier où il faut se battre tous les jours. Mais ça, ils s’en aperçoivent déjà.
Le magazine anglais The Economist a caricaturé Barack Obama avec un tricot rayé pour critiquer son manque de maîtrise budgétaire, cela vous inspire quoi ?
Barack Obama porte un tricot rayé, c’est pour nous le début de la gloire aux États-Unis. Le président américain est peut-être la vedette que l’on cherchait (rires). Mais cette couverture, avec Barack Obama arborant en plus béret et baguette, avait pour but de le faire ressembler à un président français qui conduit son pays vers des dérives financières et budgétaires. Je préférerais donc trouver une vraie star hollywoodienne afin que le rayé devienne un vecteur de mode française et non pas la caricature de la mauvaise gestion budgétaire d’un pays.*
Jean-Guy Le Floch en quelques dates
1938 : Création des Bonneteries d’Armor. L’entreprise produit des sous-vêtements de grande qualité sous la marque Armor-Lux
1994 : Jean-Guy Le Floch rachète Armor-Lux avec son ami d’enfance Michel Guéguen
2000 : Les grandes inondations détruisent l’usine au centre-ville de Quimper
2004 : Mise en service d’une nouvelle usine de production et de logistique sur les hauteurs de Quimper
Mai 2014 : Dernière ouverture en date d’un magasin Armor-Lux à Deauville