En 1986, Frédéric Bedin, alors étudiant en master 2 de Gestion à Paris Dauphine créait avec 3 amis l’agence de communication Délires. 30 ans plus tard, il préside le directoire d’Hopscotch Groupe, acteur majeur international du conseil en communication, spécialiste de l’événementiel mais aussi des “relations publics”, du digital et du Web social.
En quoi votre métier est-il particulier dans le monde de la communication ?
Nous sommes les architectes du marketing des communautés. Nous aidons nos clients à identifier toutes les communautés avec lesquelles ils doivent interagir, à faire une cartographie qui ressemble à un nénuphar. Puis, nous inventons, pour chacune des communautés, un contenu qui lui permette de “faire partie de la bande”. Cela commence souvent par l’invention d’un “prétexte” à rencontre au cours de laquelle notre client pourra prendre efficacement la parole auprès de cette communauté, mais où cette communauté trouvera de l’information utile pour elle. Ensuite, c’est nous qui organisons tout : les stands, les déplacements, le transport du matériel par camion, les hébergements… Contrairement à la publicité, si ça ne marche pas, c’est nous qui avons la responsabilité de l’échec.
C’est moins agressif et plus ciblé que la publicité ?
Quand nous avons démarré, la publicité développait une stratégie guerrière et les moyens marketing ressemblaient un peu à des fusils et des canons. Nous, nous avons tout de suite décidé de ne cibler personne mais d’interagir avec des publics pour leur faire découvrir des marques. Utiliser le spectacle, l’art, le tourisme, la musique pour créer des moments de convivialité qui servaient à faire de la communication… c’était une vision utopique à l’époque, ça ne l’est plus du tout aujourd’hui. Ce qui était notre idée il y a 30 ans arrive aujourd’hui sur le terrain.
Aujourd’hui la publicité est considérée comme invasive et dérangeante.
Quand nous avons débuté, 80 % des investissements communication des marques étaient de la publicité. Notre marché était tout petit. Aujourd’hui c’est l’inverse. Les problématiques marketing des entreprises sont beaucoup plus complexes. Les consommateurs ne supportent plus l’idée qu’on leur impose des publicités qui ne les concernent pas. Donc ils se sont mis à l’abri. À la télévision, comme sur Internet ou par courrier, la publicité est rejetée. Pour attirer les clients il faut des idées innovantes avec des propositions de valeur qui soient intéressantes pour eux. Dans cet esprit, notre société fait beaucoup d’événementiel car l’événement est l’industrie de la rencontre.
Votre message est passé puisque Hopscotch, votre entreprise, emploie plus de 500 personnes et réalise plus de 150 M€ de chiffre d’affaires.
Nos choix ont été les bons. Nous faisons du sur-mesure et nous sommes obligés d’avoir en interne tous les métiers des “relations publics”, de la communication sur les réseaux sociaux, du digital, de la conception et de la production des événements. Il y a des artistes, des scénographes, des architectes, des développeurs Web, des régisseurs de spectacles, des créatifs qui font de la veille internationale sur toutes les nouvelles technologies mondiales que nous pourrions utiliser. Tous ces spécialistes connaissent aussi très bien les problématiques du marketing des entreprises. De niveau bac +5, 6 ou 7, ils ont de bonnes connaissances de l’entreprise, de la politique, du droit, etc. Prendre les meilleurs c’est aussi un métier !
La révolution numérique a servi d’accélérateur à vos métiers.
Avec Internet, les frontières sont tombées. Les seules barrières sont les barrières linguistiques. Depuis Paris on est capable de travailler dans le monde entier. Il suffit d’avoir des gens qui parlent les langues en question. Mais les vecteurs se sont enrichis. En plus de la presse et des médias classiques, les réseaux sociaux et leur écosystème digital sont devenus indispensables aux entreprises pour faire parler d’elles.
Mais les gens ont aussi besoin de se rencontrer pour de vrai… n’est-ce pas un des revers du Web ?
C’est une vision défensive de dire cela ! C’est au contraire ce que la technologie rend possible. Elle libère du temps. Puisque vous n’êtes plus obligé d’être dans votre bureau, vous pouvez aller sur davantage d’événements professionnels pour rencontrer des collaborateurs ou des concurrents, flairer des marchés étrangers. Nous travaillons beaucoup dans le domaine de la santé. Les médecins m’expliquent que grâce à la télémédecine ils ne sont plus obligés d’être présents à l’hôpital pour la “bobologie” quotidienne. Ils peuvent passer plus de temps dans des congrès pour échanger sur les technologies innovantes et les meilleures pratiques. Du coup la médecine progresse plus vite qu’avant. Ces congrès deviennent des accélérateurs de compétence et c’est vrai pour toutes les professions, coiffeurs, garagistes, etc.
Vous êtes en tête en France et vingtième mondial dans tous vos métiers. Vous souhaitez maintenant internationaliser votre groupe. Mais comment s’internationaliser dans un métier qui s’appuie sur la culture ?
Il me semble qu’à l’ère d’Internet nous ne sommes pas obligés d’être physiquement présents partout. Chacun doit essayer de construire son modèle original et nous, notre modèle, c’est de devenir mondial à partir de hubs, sans s’implanter dans tous les pays que nous souhaitons atteindre, mais en étant très ouverts. Nous avons commencé par créer un hub sur chaque continent. Les plus importants sont à Dublin et à Casablanca. Nous en avons aussi à Hong Kong, Montréal et Sao Paulo. Afin de pouvoir parler avec tous les pays, nous avons recruté à Paris et dans ces différents hubs, des Suédois, des Marocains, des Japonais… En ce moment j’ai des équipes qui travaillent en Colombie, en Chine, et en Afrique, mais la semaine prochaine, ou dans quinze jours, ils seront dans d’autres pays.
Vous travaillez aussi à l’étranger pour des grandes marques françaises…
Actuellement nous faisons 50 % de business international essentiellement depuis Paris. International veut aussi dire attirer des clients mondiaux en France et en Europe, aider les marques françaises à aller partout dans le monde et accompagner les grandes unités internationales là où elles sont implantées. C’est nous qui, par exemple, avons assuré depuis Paris pour les journalistes européens, le lancement de la nouvelle Nissan. Nous travaillons pour Renault au Maroc, en Slovaquie, en Grande Bretagne. Nous accompagnons au Japon des marques de luxe comme Cartier, Relais & Châteaux… Nous avons fait du business mondial avec Sony : nous avons assuré leurs “relations publics” lorsqu’ils étaient partenaires de la coupe mondiale de football au Brésil. Le client était japonais, les délégations mondiales se rencontraient au Brésil et nous nous étions à la fois à Paris et sur le terrain.
Votre croissance s’est faite autant en interne qu’en acquisitions externes. Qu’est-ce qui motive vos choix ?
Quand nous choisissons de faire des acquisitions de sociétés, c’est pour avoir instantanément une équipe organisée qui maîtrise quelque chose que nous ne savons pas faire. Si vous recrutez un très bon créatif, un très bon commercial et un très bon producteur, cela ne fera pas tout de suite une équipe. Nous sommes en veille permanente de nouvelles start-up et lorsque nous identifions une technologie utile à un de nos clients, nous lui proposons de prendre la majorité de son capital, entre 51 % et 100 %. Cela nous permet de garder beaucoup d’agilité et de clairvoyance sur les technologies et les marchés. C’est un moyen moderne de croissance pour les groupes.
Quels conseils donneriez-vous à un créateur d’entreprise ?
Quand on crée une entreprise et qu’on a 20 ans, il ne faut pas aller dans des secteurs où tout le monde est. Si à l’époque, nous nous étions dit “on va créer un concurrent à Publicis dans la publicité”, nous aurions été condamnés à n’avoir que des petites marques comme clients et cela aurait été difficile de faire notre place. Nous sommes allés dans un secteur où il y avait moins de concurrence. Mais c’était plus difficile car il fallait faire du sur-mesure à chaque fois.
Vous êtes administrateur de la Fondation Entreprendre, vous êtes président de la Commission innovation du Medef, vous avez été président de Croissance Plus. Comment voyez-vous les PME françaises ?
La France est devenue un pays d’entrepreneurs et d’innovations. Mais le droit social, la fiscalité, les règles sont tellement compliqués qu’entreprendre ici c’est beaucoup plus difficile qu’ailleurs. Le développement des entreprises est bridé par le poids des dépenses publiques qui représentent 57 % du PIB et sont financées pour l’essentiel par les entreprises et leurs salariés. Il faudrait accélérer les réformes. Pourtant, vu de l’étranger les entreprises françaises, notamment technologiques, sont très bien perçues. Dans les secteurs de la santé, de l’Entertainment, des transports, de l’aéronautique, du luxe… la France est très reconnue. C’est pourquoi j’encourage les dirigeants à être ambitieux. Par exemple, Scality (stockage de données), un de nos clients qui sera une des grandes réussites des 5 prochaines années, a la tête en France pour réfléchir et les pieds aux États-Unis pour courir, et elle se développe partout.
TalentSoft (gestion des ressources humaines), une autre start-up, est en train d’obtenir un succès mondial. Dans les métiers traditionnels il y a aussi de gros potentiels malgré les difficultés de la France.
Vous avez relancé en 2015 à la Baule, le Festival du film d’entreprise. Envisagez-vous de le pérenniser ?
Oui, la seconde édition vient de se dérouler à La Baule en mai 2016. Avec la simplification technologique, la vidéo est redevenue une écriture naturelle pour les entreprises. L’image qui bouge, c’est l’écriture du XXIe siècle. J’espère que c’est le début d’une grande aventure.