Notre filiale, Wikane Invest, qui finance des sociétés à fort potentiel en phase de création, nous a conduit à étudier cette année plus d’une cinquantaine de projets. Ce qui suit n’a pas de valeur statistique mais on peut toutefois en tirer quelques enseignements.
Il y a 2 profils de créateurs dans ce domaine :
- Ceux qui pensent qu’ils vont réinventer google, Amazon ou autres GAFA mais qui n’ont en commun avec elles que le fait de débuter dans un garage ou une salle de cours d’Université,
- Ceux plus raisonnables mais qui dès leur premier tour de table parlent tout de même en millions d’Euros alors que le projet n’en n’est qu’au stade de l’idée ou du proto quand il n’est pas hâtivement forgé.
Dans les deux cas, nous avons observé que l’approche stratégique laisse quelque peu à désirer, mais surtout ce qui frappe, c’est à quel point les créateurs n’accordent pas d’attention particulière au marketing et au développement commercial. Ils savent pourtant que la survie de leur entreprise est en jeu à très brève échéance et dépend largement de leurs résultats dans ce domaine. Ce manque de prise de conscience fera qu’ils manqueront de moyens pour mettre en œuvre leur politique commerciale, ce qui leur vaudra des années de “galère” avant de sortir des zones de turbulences.
Je suis convaincu du fait qu’ils pourraient tirer parti sans restriction de la méthode Wikane qui, en la matière, consiste à intégrer le process industriel dans la fonction commerciale. Ce qui vaut pour la PME déjà établie vaut pour celle qui vient de naître ou s’apprête à voir le jour. Les principes de sélectivité, d’exhaustivité, de répétitivité seront toujours à la base des succès commerciaux, en particulier s’ils sont mis en œuvre par des dirigeants motivés, inventifs et parfaitement au clair avec leurs objectifs et leurs finalités.
Toutefois, ces créateurs auront compris qu’ils souffrent, par rapport à ces PME “installées”, de plusieurs handicaps importants.
Le premier, c’est leur absence d’antériorité et d’expérience sur leur métier, leurs clients et leur marché. J’ai souvent évoqué dans mes conférences les précieux enseignements qu’une PME pouvait retirer du passé pour définir un cœur de cible, segmenter son marché ou mettre au point des outils de mesure de son activité commerciale. Le créateur, lui, est totalement dépourvu… Il lui faudra donc puiser ailleurs les éléments d’information nécessaires pour bâtir un début de système qu’il affinera ensuite.
Second handicap des jeunes entreprises : elles partent d’une position arrêtée alors qu’une PME déjà “lancée” bénéficie de sa force d’inertie. Une voiture dépense beaucoup plus d’énergie pour démarrer et monter à 90 km/h que pour atteindre cette même vitesse si elle roule à 70 km/h. Et une jeune société qui se crée, même si elle conduit une démarche commerciale de qualité, est désavantagée par rapport à une PME même si elle travaille de manière empirique. Car celle-ci a tout de même des clients et probablement quelques prospects qui peuvent devenir rapidement des clients s’ils sont abordés de manière professionnelle.
Le créateur doit savoir qu’il va devoir mener un effort long et soutenu pour se hisser au niveau de ses concurrents. L’action commerciale devra mobiliser une large part de son temps, de ses finances et de son talent. Or, dans les faits, que se passe-t-il ? Neuf fois sur dix, la jeune entreprise mène une prospection en dents de scie, selon l’état de son carnet de commandes et la disponibilité de ses effectifs.
J’ai discuté récemment, à l’issue d’une conférence « Wikane Tour » que je donne avec mon associé Edgar Grospiron dans toute la France, avec deux jeunes entrepreneurs. Malgré leur formation, malgré leur culture entrepreneuriale, ils se sont laissés engloutir par un énorme contrat décroché très tôt auprès d’une prestigieuse société américaine. Neuf mois plus tard, au terme de leur mission, ils se sont aperçus qu’ils n’avaient aucune autre affaire signée et aucun prospect à l’horizon !
Cette difficulté à investir d’entrée dans le commercial m’amène au troisième handicap de la jeune entreprise : son manque de moyens souvent dû à la sous-estimation des coûts commerciaux dans son business plan. Il est difficile pour elle d’attendre douze à dix-huit mois qu’une action commerciale « rende » !…
Il faut pourtant que les créateurs réalisent ceci : le fait de remettre l’action commerciale à plus tard ne les dispensera pas de dépenser des sommes équivalentes, voire supérieures, même s’ils étalent leur effort sur plusieurs années. En revanche, pendant ces années, les clients seront moins nombreux, l’activité plus irrégulière, l’avenir plus incertain ; alors qu’une action commerciale forte, lancée dès le départ, aurait accéléré leur acquisition de prospects et de clients, leur développement et leur prise de parts de marché.
Alors, vaut-il mieux partir au ralenti ou appuyer sur l’accélérateur dès les premiers mètres ?
Bien sûr, il sera toujours plus difficile de convaincre un banquier pour le financement d’une action commerciale que pour l’acquisition d’une machine-outil. Concédons toutefois aux banquiers que les plans de développement qui lui sont soumis ne brillent pas toujours par leur inspiration et leur sérieux. Mais une démarche solide, inspirée, sélective et méthodique retiendra forcément son attention.
Ma conviction est que la fonction commerciale est trop importante pour être déléguée y compris en interne. On assiste pourtant à l’exacte contraire au fur et à mesure que grandissent les entreprises. C’est comme si les dirigeants pensaient qu’après avoir fait les efforts nécessaires au démarrage, la fonction pas assez noble, ne méritait plus leur attention. Une entreprise qui grandit c’est une action commerciale qui marche, c’est surtout un dirigeant qui s’y implique, quel que soit l’âge de son entreprise.
Michel Courtois