EN MAI DERNIER, LE DRAPEAU DE WIKANE ET CELUI DE L’AGENCE FRANCOPHONE DE TREKKING RÊVES DE NÉPAL FLOTTAIENT FIÈREMENT AU SOMMET DE L’EVEREST, À 8 848 MÈTRES D’ALTITUDE. BUT DE CE CHALLENGE : MONTRER AUX FEMMES DU NÉPAL QU’ELLES PEUVENT ACCOMPLIR DE GRANDES CHOSES DANS LEUR PAYS. RENCONTRE AVEC LA PÉTILLANTE YANGJI, QUI A GRAVI L’EVEREST POUR LA CAUSE DES FEMMES DU NÉPAL.

Il faut passer par l’application Whatsapp pour rencontrer Yangji, descendue de son village natal jusqu’à la capitale de Katmandou pour nous accorder une interview. À l’autre bout du fil, on entend la pluie battante des moussons, qui s’achève à la mi-septembre. Avec son rire communicatif, Yangji est une figure pour de nombreux touristes et amateurs de trek, notamment français, qui souhaitent s’offrir les services d’un guide de montagne pour explorer le Népal. Mais il n’en a pas toujours été ainsi : Yangji a pu compter sur une bonne étoile et sur son envie dévorante d’apprendre pour en arriver là. « Je viens de la région de l’Everest, d’une famille pauvre. Ma mère m’avait eue relativement tard, à 46 ans. Une fois mes quatre frères partis du village pour travailler, nous étions seules. » Son village, perché à 2 800 mètres d’altitude, est à 5 jours du camp de base de l’Everest. « L’Everest, je le connaissais sans le connaître : je ne percevais alors pas toute la valeur de cette montagne dans notre pays ! »

Une rencontre salutaire

L’école de son village enseigne jusqu’au niveau 7. Au-delà, Yangji doit chaque jour marcher 4 heures pour poursuivre ses études. « En hiver, je rentrais de nuit, je traversais la forêt… C’était effrayant. » Puis vient le jour où, effondrée, sa mère lui annonce qu’elle ne pourra pas payer l’accès à ses examens scolaires. Elle quitte l’école. C’est en travaillant qu’elle fait la rencontre d’un français qu’elle appelle aujourd’hui son père : un Annécien professeur d’anglais bénévole dans son ancienne école, qui s’étonne de ne pas la voir sur les bancs de sa classe. Il la questionne, elle raconte. « Il m’a prise sous son aile pendant deux mois qui ont fait jaillir beaucoup de questions. Je me souviens de la semaine où il m’a emmenée à Katmandou. Il me parlait de crème glacée, et je trouvais ça incroyable, pour moi la crème, c’était pour le visage ! ». Son papa de cœur l’envoie en école privée à Katmandou, où elle est logée chez son oncle. Elle y apprend l’anglais et l’informatique. « Quand j’ai touché le clavier pour la première fois, je tremblais ! », rit la jeune femme. Elle reste 6 mois durant chez son oncle puis rentre au village à 17 ans, mais ne se résigne pas pour autant.

Cap sur Annecy !

Elle se fait faire une carte d’identité pour ouvrir un compte en banque et revient à la ville, puis loue une chambre précaire. « J’ai écrit à mon papa de cœur pour l’informer de mes démarches : il est revenu au Népal pour s’occuper de moi. » Conscient du potentiel et de la hargne de Yangji, le professeur d’anglais songe à l’envoyer aux États-Unis pour qu’elle continue son apprentissage de la langue anglaise… Sans succès. Il se tourne alors vers une agence de trek française basée au Népal. Son idée : si Yangji parle français, peut-elle devenir guide ? « C’est ainsi que j’ai quitté mon pays natal : mon papa m’a conduite en France, à Annecy, en 2007. » Annecy devient la deuxième région de cœur de Yangji : elle y apprend le français et arpente les montagnes françaises. En 9 mois, elle parle un français plus que correct et rentre à Katmandou, où elle passe les formations pour devenir guide assistante après les formations de rigueur (escalade, cascades de glace, secours…). Sérieuse et appliquée, il ne lui faut pas longtemps pour s’imposer guide et se forger une solide réputation grâce aux commentaires élogieux de ses protégés. Elle travaille 5 ans au sein de l’agence, ce qui lui permet de rapatrier sa mère en ville. « J’ai commencé à travailler seule à partir de 2013. » L’agence de trek francophone Rêve de Népal est née ! Yangji a toujours le sourire et ne laisse rien au hasard : elle s’entoure de porteurs et connait les itinéraires sur le bout des doigts. La clientèle suit, grâce à des contacts précieux venus d’Annecy. Éternellement reconnaissante envers celui qui l’a sortie de l’impasse, elle prend sous son aile quatre adolescentes népalaises et leur donne accès à l’éducation. Déjà, dans sa tête, elle construit sa pensée autour de la conviction que les femmes népalaises peuvent faire de grandes choses.

Lutter pour la condition des femmes au Népal

S’il y a des progrès au Népal à l’égard des femmes, « elles sont encore bien souvent dépendantes des hommes et du regard de la société », explique Yangji. En montant son expédition pour l’Everest, en compagnie de deux autres femmes guides de montagne, elle veut alors faire passer deux messages forts : « Que les femmes sortent de la maison pour s’accomplir… Et surtout, comme beaucoup le font, qu’elles ne partent pas travailler à l’étranger, notamment en Arabie Saoudite. Restez au Népal et faites de grandes choses dans le pays que vous aimez ! ». Ces convictions, elle décide de les faire résonner du plus haut sommet du monde : en mai 2018, cap sur l’Everest. Accompagnées d’un guide, les trois Népalaises marchent résolument jusqu’à la montagne. Départ le 9 avril de Katmandou.

Prières et fenêtres météo

Après une itinérance dans les montagnes voisines pour se donner le souffle nécessaire, elles atteignent le camp de base de l’Everest le 19 avril. « Nous avons procédé à la cérémonie de l’ascension de l’Everest. C’est une prière à l’attention de la montagne, que nous allons fouler. » Elles partent le 25 avril pour atteindre le camp 2, puis le camp 3, à 7 200 mètres d’altitude. Une parfaite mise en conditions : elles regagnent alors le camp de base pour attendre une fenêtre météo favorable à leur ascension. Elles peuvent enfin s’élancer le 13 mai, et atteignent le camp 4 le 15 mai. C’est la dernière étape avant l’ascension.

L’ascension… et la redescente

« Nous avons quitté notre base aux alentours de 21 h 30 et avons marché toute la nuit. Nous étions au sommet à 10 heures, non sans quelques incidents. » Un masque à oxygène déficient, mais surtout, de puissants vertiges des heures durant… « Ils ont duré plus de trois heures, mais je m’accrochais : je me disais qu’il ne fallait pas lâcher la corde. » Enfin, le sommet : « Voyant ce que nous avions réalisé, j’ai pensé à tout le monde… mais le périple était loin d’être fini : la descente est encore plus difficile ! »
Vivres et eau gelés, les jeunes femmes mangent de la neige pour s’hydrater. « Étant le chef d’expédition, j’ai averti mes semblables d’un piège qui en a laissé plus d’un pour mort : cette terrible envie de dormir, de se poser n’importe où, qui obnubile chacune de vos pensées… ». La descente est terrible, mais, de camp en camp, l’expédition revient au camp de base le 19 mai, épuisée mais fière de son exploit. De quoi donner du courage à toutes les femmes qui ont suivi, de loin, ce périple réalisé pour leur cause. « Je ne compte pas m’arrêter là et je réfléchis à d’autres actions pour encourager les Népalaises à rester au Népal et à s’accomplir dans leur pays. » Formations dans le monde du tourisme, conférences : finalement, c’est un nouvel Everest qu’il reste à gravir pour Yangji. ●

Yangji et ses co-équipières ont gravi l’Everest en mai dernier : une ascension symbolique pour la condition des femmes au Népal.
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